Qui se souvient de Guerino, le virtuose de l'accordéon, le Zingaro napolitain ? Des ouvrages spécialisés lui consacrent quelques lignes, parfois un alinéa, rarement un paragraphe… Mince espace, comparé aux pages dévolués aux Péguri, Vacher, Peyronin, etc. Oublié, Guerino. Presque anonyme. Son état civil ? On n'est sûr de rien. On peut lire, çà et là, que ses dates de naissance et de décès sont ignorées, et qu'il se pourrait bien que ce fût un Argentin. Guerino : juste un nom, ou un prénom, ou peut-être un pseudonyme. Alors ?
le berceau familial se situe plus au sud de l'Italie, entre Rome et Naples : Vallerotonda, près de Cassino. Beaucoup de Tsiganes vivent dans cette région et il n'est pas impossible qu'une partie de sang manouche ait coulé dans les veines de Guerino. À peine mariés, ses parents quittent la Campanie et se lancent sur les routes. On les suit au fil des naissances de leur dizaine d'enfants : France, retour en Italie, Angleterre, France. Cette nomadisation, qu'on pourrait prendre pour l'atavique besoin d'ailleurs, fut commandée par l'impérieuse nécessité de fuir la misère. Ils furent nombreux à émigrer, les Italiens à la fin du dix-neuvième siècle, et les travailleurs du cru ne les aimaient guère. Le cas échéant, on en venait aux mains, et guère pour rire.
Malgré l'adversité, Aimable (le bien nommé), père de Guerino, cultive l'art de ne pas trop s'en faire. Quand la marmite ne bout pas suffisamment, le voilà ouvrier-maçon, au jour le jour. Car de l'accordéon, c'est Gaëtane, la mère de Guerino, qui en joue au hasard des bals et des fêtes de villages. C'est elle la musicienne ambulante. Une maîtresse-femme, la mamma, énergique et autoritaire ! Guerino héritera cette dualité de tempéraments : forte personnalité mais velléitaire. Sa carrière s'en ressentira.